La biologie va-t-elle domestiquer la truffe ?
Les agronomes français relancent les recherches pour tenter de comprendre le développement très complexe
des truffes.
La truffe enchante l'oeuf et la coquille Saint-Jacques des gourmets mais
elle frustre l'agronome. Depuis quelques décennies, la biologie dompte un peu mieux la culture des trois espèces de champignons qui fructifient ces puissantes boules de saveur. Pour autant, «
Tuber melanosporum » et ses cousines n'ont rien perdu de leurs caprices. La trufficulture reste une activité très aléatoire, risquée, et sa production ne cesse de baisser depuis un siècle pour
des raisons plus ou moins compréhensibles. Une équipe d'une vingtaine de chercheurs sous la direction de François Le Tacon (Inra) a décidé de sortir la grosse artillerie : séquençage du génome,
puce à ADN, métagénomique, les outils les plus pointus de la biologie suffiront-ils à percer les derniers secrets de la truffe ? S'il est validé par l'Agence nationale de la recherche, le
programme débloquera 3,2 millions d'euros.
Les champignons de la truffe vivent en symbiose avec certains arbres (chêne, hêtre) au travers d'un organe commun. Ces mycorhizes sont un réseau de filaments qui captent les nutriments du sol
(azote, phosphore) et les transmettent aux racines de l'arbre. Les champignons reçoivent en échange les sucres que seule génère la photosynthèse de l'arbre. Cette symbiose doit pourtant affronter
une concurrence féroce puisque des milliers d'autres champignons, comme le cèpe ou le bolet, cherchent à en profiter. Les biologistes veulent comprendre pourquoi certaines truffières sont très
mycorhizées et d'autres non. L'étude du métagénome des bactéries du sol pourrait notamment éclairer la domination des champignons. D'autres phénomènes comme les herbicides qu'émettent parfois les
mycorhizes intriguent les chercheurs.
L'Inra a réussi dans les années 1970 à mettre au point une méthode pour « mycorhizer » de jeunes plants de chêne. En laboratoire, on sème un gland dans une terre désinfectée (sans champignons)
puis on la mélange avec des spores de « Tuber melanosporum ». Le jeune arbre sort alors de la pépinière avec des racines entièrement colonisées par le champignon truffier. Sauf qu'une fois planté
dans le champ, la compétition reprend et les bonnes mycorhizes peuvent être chassées.
Le rôle des bactéries
Les caprices de la truffe ne s'arrêtent pas là. Même si l'arbre comporte de nombreux mycorhizes, rien n'indique qu'ils produiront des truffes. « Nous ne comprenons pas comment les champignons choisissent une reproduction végétative ou une reproduction sexuée, explique François Le Tacon. J'ai déjà vu des arbres à 100 % mycorhizés mais ne donnant aucune truffe ou des arbres peu mycorhizés et très producteurs. » Dans le cas d'un développement végétatif, le champignon émet directement des spores. Seule la seconde voie sexuée intéresse la trufficulture puisqu'elle passe par le développement à la fin du printemps de petits fruits, les truffes. Les agronomes suspectent l'interaction des champignons avec les bactéries du sol d'influencer le choix de la voie de reproduction. Mais d'autres hypothèses restent ouvertes.
Ces corps fructifères entament alors une longue traversée de l'été durant lequel ils souffrent de la sécheresse. C'est pourquoi l'agronomie recommande depuis trente ans l'irrigation des truffières. En fin d'été, certaines truffes parviennent à grossir, d'autres non. Le programme de recherche de François Le Tacon insiste donc sur la nutrition de la truffe. On ne sait pas par exemple si le corps fructifère dépend beaucoup des apports de l'arbre. Les chercheurs veulent également mieux connaître la diversité génétique des truffes avec une comparaison des populations européennes.
MATTHIEU QUIRET 21/12/2008
La truffe en chiffres
· La truffe représente une centaine d'espèces mais 3 espèces sont exploitées en Europe : truffe noire du Périgord (« Tuber melanosporum ») ; truffe de Bourgogne (« Tuber uncinatum ») ; truffe blanche (« Tuber magnatum »).
· Terrain d'élection : sols calcaires.
· Climats d'élection : la Provence et le Sud-Ouest pour melanosporum, l'Est et la Lorraine pour uncinatum.
· Période de récolte : hiver pour melanosporum, automne pour uncinatum.
· Production française : évaluée à plus d'une cinquantaine de tonnes mais l'opacité du marché rend ce chiffre très discutable.
Ce qui est sûr c'est que la production a chuté en un siècle, probablement à cause de la sécheresse et de la qualité des sols.
· Quelque 300.000 arbres truffiers, soit de 1.000 hectares à
1.200 hectares sont plantés chaque année.
Ave les Amycos !!!